La première fois que j’ai entendu parler du regret maternel, c’était en juin 2019, en lisant une publication de Fiona Schmidt sur son compte Instagram @bordel.de.meres, dans laquelle elle mentionnait le livre de la sociologue et autrice israélienne Orna Donath, Regretting Motherhood Orna Donath, Le Regret d’être mère, Odile Jacob, 2019), pas encore traduit en français à l’époque. Mon fils avait tout juste 1 an et n’avait pas encore commencé à fréquenter la garderie. Je ne saurais pas expliquer ce que j’ai ressenti à ce moment-là, mais j’ai rapidement cherché si le livre était disponible à la bibliothèque de mon quartier, bien qu’il n’existe pas de version en français. Regretting Motherhood. Regretter d’être mère. Ces deux mots m’ont profondément intriguée. Je me suis sentie concernée, sans vraiment être capable de définir ce que je ressentais au fond de moi, alors que j’étais en plein traitement de ma dépression post-partum.
À ce propos, il est arrivé plusieurs fois qu’on medemande comment distinguer le regret maternel de la dépression post-partum. Il faut savoir que puisque le regret est un ressenti, il ne se soigne pas, contrairement à la dépression post-partum. Cependant, il peut s’estomper, voire disparaître avec le temps. Mais il peut aussi être présent tout au long de notre vie, comme en témoignent certaines mères dans le livre d’Orna Donath, notamment Erika, mère de quatre enfants entre 30 et 40 ans, aujourd’hui grand-mère : « J’ai renoncé à ma vie pour eux. Et je pense, avec le recul, […] que c’est ingrat d’être mère. J’aime bien être avec les enfants, mais de là à vous dire que je suis la personne la plus heureuse quand je suis avec eux, ce serait un mensonge. […] Il n’y a aucune raison au monde d’avoir des enfants. De manière générale, la souffrance est trop intense, les difficultés sont trop grandes et la douleur trop profonde pour que je puisse en profiter maintenant que je suis âgée. C’est comme ça. »
Le regret d’être mère n’est pas non plus à confondre avec l’ambivalence maternelle. Comme l’explique très bien Marie Chetrit dans son livre Éducation positive : une question d’équilibre ?, « l’ambivalence maternelle, c’est cette pulsion agressive que ressent une mère pour son enfant. C’est cette oscillation entre amour fou pour ce bébé adorable, et bouffées de détestation contre cet empêcheur de vivre tranquillement » (Marie Chetrit, Éducation positive : une question d’équilibre ?,Solar, 2021). Un exemple qui revient souvent pour l’illustrer : avoir hâte que son enfant soit couché pour pouvoir enfin souffler après une journée chargée, et se retrouver dans son canapé, téléphone à la main, à faire défiler des photos de lui bébé, en étant en totale adoration devant. Le regarder dormir et le trouver si paisible et beau. Je ne crois pas une seule seconde les parents qui disent qu’ils sont tout le temps émerveillés par leurs enfants. Nous sommes des humains avec nos limites, nous sommes aussi et surtout des adultes qui n’avons pas le même fonctionnement que les enfants au niveau cérébral. Il est donc normal que notre enfant puisse nous taper sur les nerfs, et on ne peut pas simplement quitter la maison pour aller ailleurs ! Un(e) ami(e) qui me fatigue, je lui demande de partir de chez moi. Mais mon propre enfant, c’est plus compliqué ! Et ce n’est pas parce qu’il nous épuise qu’on ne l’aime pas ! Il m’arrive d’être en désaccord avec mon mari (à qui n’est-ce jamais arrivé ?), ce n’est pas pour autant que je ne l’aime plus, fort heureusement. Il y a une sorte de sacralisation de l’enfant parce que c’est notre enfant, parce que c’est un enfant, donc on ne peut rien lui reprocher puisqu’il est innocent. D’ailleurs, je ne reproche rien à mon enfant, c’est ce que je vis à l’instant T que je trouve éprouvant. Il existe une multitude de nuances à apporter, tout cela peut coexister, que ce soit dans l’ambivalence ou le regret.
En mars 2021, j’ai fait la connaissance de Véronique Borgel Larchevêque après avoir fait un appel à toutes et à tous sur Instagram, je cherchais alors un(e) psychologue pour répondre à plusieurs questions et apporter un éclairage bienveillant sur le thème du regret maternel dans le cadre d’une future vidéo en direct (live). Véronique est psychologue en périnatalité et elle-même mère d’un enfant de 5 ans. J’ai très vite été emballée par son approche et sa réponse respectueuse à mon appel. Je lui ai donc parlé de mon projet de livre et elle a tout de suite accepté de compléter mes chapitres d’encadrés dans lesquels elle apporte son point de vue en tant que thérapeute. Elle m’expliquait d’ailleurs que, depuis début 2022, il y a une recrudescence de mères qui regrettent qui viennent la consulter, ou de femmes qui hésitent à franchir le pas par crainte de regretter leur vie d’avant. Son appui est pour moi une façon de montrer que le regret maternel est un ressenti qui commence à être abordé, qu’il est reconnu, ce qui permet de se sentir moins isolée. Il faut savoir que je n’ai jamais choisi de vivre ni de ressentir cela. Je considère que je subis ce regret, c’est ma réalité, aujourd’hui. J’espère que les interventions de Véronique aideront les mères qui se sentent concernées à déculpabiliser. J’ai espoir que ses mots rassureront celles qui n’osent pas consulter, qui craignent le jugement. Parce qu’encore aujourd’hui, beaucoup pensent que si on consulte, c’est qu’on est fou ou folle, alors que d’après moi tout le monde devrait suivre une thérapie, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie ! Personne n’a une vie parfaite, sans blessure, même minime. Ma propre démarche avec ma psychothérapeute me permet d’écrire de façon plus éclairée, de mieux me comprendre aussi, et d’être en mesure de partager mon histoire le mieux possible.
LE POINT PSY par Véronique Borgel Larchevêque, psychologue spécialisée en périnatalité
Comme le dit Astrid, le regret maternel n’est pas une pathologie, contrairement à la dépression postpartum et au burn-out maternel. C’est une différence importante qu’il s’agit de repérer lors du diagnostic. Le regret partage avec ces maladies l’absence de choix : on ne choisit pas de regretter, tout comme on ne choisit pas de déprimer. En revanche, on cherchera à traiter et à venir à bout d’une dépression, tandis que l’on tentera d’apaiser un sentiment de regret. Selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) (Manuel américain de référence pour diagnostiquer les troubles de santé mentale), la dépression postpartum se caractérise par les symptômes suivants : tristesse, autoculpabilisation en lien avec le rôle de mère, fatigue physique et psychique, désinvestissement, perte de plaisir. Ces symptômes peuvent être accompagnés d’idées suicidaires. Le burn-out maternel, décrit par Roskam, Raes et Mikolajczak ( Mikolajczak Moïra, Roskam Isabelle, Le Burn-out parental, l’éviter et s’en sortir, Odile Jacob, 2020), se caractérise quant à lui par la présence des trois symptômes suivants : épuisement physique et psychique en lien avec le rôle de mère, distanciation affective d’avec ses enfants, perte d’épanouissement et d’efficacité dans son rôle parental.